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La maison de la Première Enceinte était située le long du triangle gazonné du champ de foire aux chevaux, là où la grand-route tournait le coin du mur de l’abbaye. Un mur plus bas, de l’autre côté de la route, fermait la cour où Niall, le graveur sur bronze, avait sa boutique et son atelier ; un peu plus loin se dressait une belle demeure cossue, avec son grand jardin et, derrière, un pâturage de petites dimensions. Niall tenait un commerce fructueux pour tout ce qui concernait les broches, les boutons, les poils de taille réduite, les aiguilles, sans oublier les marmites métalliques, les plats et les aiguières. Pour ces locaux, il payait à l’abbaye un loyer raisonnable. À l’occasion, il lui était arrivé de travailler avec des collègues à fondre des cloches, mais c’est quelque chose qu’on lui demandait rarement et qui exigeait de se rendre sur les lieux mêmes, plutôt que d’avoir à transporter ces cloches énormes après leur fabrication.

L’orfèvre travaillait dans un coin de son échoppe ; il terminait le bord d’un plat fabriqué avec une feuille de métal qu’il martelait. A l’aide d’un poinçon et d’un maillet, il creusait une décoration florale quand Judith s’approcha de son comptoir. De la fenêtre sans volet, au-dessus du banc de travail, la lumière nimbait doucement, latéralement, le visage et la silhouette de la jeune femme. Il se tourna pour voir qui venait d’entrer, restant un moment immobile, ses outils à la main avant de les poser et d’aller à sa rencontre.

— Soyez la bienvenue, madame ! En quoi puis-je vous être utile ?

Ils se connaissaient à peine, ce n’était qu’un commerçant et artisan recevant une cliente, rien de plus. Et cependant le fait qu’il exerçât son métier dans la maison même qu’elle avait offerte à l’abbaye suffisait à expliquer l’attention toute particulière qu’ils se portèrent. Elle n’avait pas été dans cette boutique plus de cinq fois depuis qu’il l’avait louée. Il lui avait fourni des aiguilles, des crochets pour la dentelle de ses corsages, des petits ustensiles de cuisine, la matrice du sceau de la famille Vestier. Il était au courant de ce qui lui était arrivé, le don qu’elle avait effectué à l’abbaye ayant rendu la chose publique. Elle ne savait pas grand-chose de lui, hormis qu’il était entré dans son ancien logis en tant que locataire de l’abbaye et que l’homme et son travail étaient fort appréciés tant en ville que sur la Première Enceinte.

Judith déposa sur le long comptoir la ceinture endommagée, en cuir fin et souple, remarquablement travaillée et ornée d’une série de petites rosettes de bronze autour de chaque trou, avec un étui également de bronze pour en protéger l’extrémité. Les brillantes incrustations d’émail, entre chaque rosette, en excellent état, brillaient de tous leurs feux, mais à l’autre bout la couture avait cédé et la boucle avait disparu.

— Je l’ai perdue quelque part en ville, un soir, à la nuit tombante. Sous mon manteau je ne me suis pas rendu compte que la ceinture avait glissé et était tombée. Quand je suis revenue la chercher, je n’ai jamais pu retrouver la boucle. Il y avait de la boue et, avec le dégel, le ruisseau débordait. C’est de ma faute, j’avais remarqué ce qui risquait d’arriver. J’aurais dû prendre mes précautions.

— C’est un travail délicat, observa-t-il, maniant précautionneusement l’objet en question. Ça m’étonnerait que vous ayez acheté ça ici.

— Si pourtant, à une foire de l’abbaye. Le vendeur était flamand. Dans le temps, je m’en suis beaucoup servie. Mais je l’ai laissée de côté depuis cet incident, quand j’ai perdu la boucle. Pouvez-vous m’en fabriquer une nouvelle qui aille avec ces couleurs et ces motifs ? Elle était plutôt allongée, comme ça.

Et, pour être plus claire, elle la dessina du bout du doigt sur le comptoir.

— Maintenant, si cela vous convient mieux, vous pouvez aussi bien lui donner un dessin ovale, ou ce qui vous paraîtra le plus approprié.

Au-dessus du comptoir, leurs cheveux se touchaient presque. Elle le regarda attentivement, un peu surprise de le trouver si proche, mais il examinait de près les émaux et le travail exécuté sur le bronze ; il ne s’aperçut donc pas qu’elle l’observait.

Cadfael l’avait décrit comme un brave homme calme. Dans la bouche du moine, cela n’impliquait aucune critique. Sans ce genre d’individu, aucune communauté ne saurait survivre, et il convenait de les respecter, de les apprécier, plus que ceux qui attirent l’attention à tout bout de champ. Niall était le parfait représentant de cette catégorie de gens modestes. Il ne sortait de l’ordinaire ni par sa taille, ni par son âge, ni même par son teint raisonnablement hâlé, ni par une voix agréablement basse, mais sans excès. Judith lui donnait approximativement une quarantaine d’années. Quand il se redressa, leurs yeux étaient presque au même niveau et ses grandes mains bougeaient avec une adresse ferme et douce.

Tout en lui s’accordait à l’image d’un être comme les autres, plein de dignité, ne se distinguant pratiquement en rien de son voisin, et cependant, si l’on additionnait ces qualités, on obtenait une identité bien précise qui ne se confondait à aucune autre. Sur son visage à l’ossature large, d’épais sourcils bruns surmontaient des yeux très écartés d’une chaude couleur noisette. Il y avait quelques fils gris dans ses cheveux bruns abondants et son menton soigneusement rasé, volontaire, indiquait un caractère tranquille et bien marqué.

— Êtes-vous pressée ? demanda-t-il. Je ne voudrais pas bâcler le travail, alors si je pouvais disposer de deux ou trois jours, ce serait parfait.

— J’ai tout mon temps, s’empressa-t-elle de répondre. J’ai tellement laissé traîner ça que je ne suis pas à une semaine près.

— En ce cas, voulez-vous que je vous l’apporte en ville ? Je sais où vous vous trouvez, ça vous évitera de revenir.

Il lui adressa cette proposition avec une politesse hésitante, comme s’il craignait qu’elle ne puisse attribuer sa phrase à de la présomption, et non à de la simple courtoisie, ce qui était pourtant le cas.

Elle jeta un rapide coup d’œil à la boutique et vit – ce n’était pas très difficile – qu’il avait plus que largement de quoi s’occuper toute la journée.

— Mais il me semble que vous ne chômez pas. Evidemment, si vous avez un aide... mais je peux très bien me déplacer.

— Je travaille seul. Mais je serais ravi de venir dans l’après-midi, quand la lumière commence à décliner. Je n’ai pas d’autre rendez-vous, et ça ne me gêne nullement de travailler du matin au soir.

— Vous n’avez personne avec vous ? demanda-t-elle, confortée dans ce qu’elle avait deviné à son sujet. Pas d’épouse, ni de famille ?

— J’ai perdu ma femme il y a cinq ans. J’ai l’habitude de la solitude. Je n’ai pas de gros besoins, rien de plus facile que de les satisfaire. Mais j’ai une petite fille. Sa mère est morte quand elle est née.

Il vit son visage se tendre soudain et une lueur briller discrètement dans ses yeux cependant qu’elle redressait la tête, cherchant sans doute des traces de la présence d’un enfant.

— Non, pas ici ! reprit-il. J’aurais été bien en peine de m’occuper d’un petit bébé. Ma sœur habite Pulley. C’est à deux pas. Elle a épousé l’intendant de Mortimer au domaine là-bas ; elle a deux garçons et une fille qui ne sont pas beaucoup plus vieux. Ma petite fille habite avec eux, elle a des camarades de jeux et une femme pour s’occuper d’elle. Je vais la voir tous les dimanches, le soir aussi parfois. Mais elle est bien mieux avec Cécile, John et leurs enfants que toute seule ici avec moi, au moins tant qu’elle est encore petite.

Judith inspira longuement et profondément. Certes lui aussi avait perdu un être cher, et ce deuil avait peut-être été aussi cruel pour lui que pour elle-même, mais il lui restait un trésor inestimable alors qu’elle était entièrement dépourvue.

— Vous ne savez pas à quel point je vous envie, lança-t-elle brusquement. Moi, j’ai perdu mon bébé.

Elle n’avait pas eu l’intention de lui en confier autant, la phrase avait jailli toute seule, carrément, et c’est bien ainsi qu’il la prit.

— On m’a parlé de vos malheurs, madame. J’en ai vraiment été désolé parce que j’avais connu la même épreuve peu de temps auparavant. Du moins ai-je pu garder la petite, et j’en rends grâce à Dieu. Quand un homme subit une blessure aussi profonde, il apprend aussi à apprécier une telle grâce.

Elle répondit oui et détourna la tête avant de finir par se reprendre.

— Enfin... j’espère que votre fille pousse bien et qu’elle sera toujours une source de joie pour vous. Je viendrai rechercher ma ceinture d’ici trois jours si cela vous convient. Inutile de me la rapporter.

Elle avait passé la porte avant qu’il ait eu le temps de répondre quoi que ce fût ; d’ailleurs, qu’aurait-il pu ajouter de vraiment significatif ? Toutefois, il la regarda traverser la cour et s’engager sur la Première Enceinte. Il ne retourna s’installer sur son banc pour travailler que lorsqu’elle fut hors de vue.

 

L’après-midi était déjà bien avancée mais, en cette saison de l’année, il restait encore une heure avant vêpres quand frère Eluric, gardien de l’autel de sainte Marie, quitta presque furtivement son travail au scriptorium, traversa la grande cour pour se rendre aux appartements de l’abbé dans le petit jardin entouré d’une haie et demanda à être reçu. Il semblait si tendu, agité que frère Vitalis, chapelain et secrétaire de l’abbé Radulphe, leva un sourcil interrogateur et marqua une hésitation avant de l’annoncer. Mais Radulphe avait été formel : tout membre de la communauté se trouvant en difficulté ou sollicitant un conseil devait pouvoir le voir immédiatement. Vitalis haussa les épaules et entra demander une permission qui lui fut aussitôt accordée.

Atténué par les boiseries du parloir, le soleil brillant se changeait en une brume onctueuse. Eluric s’arrêta juste dans l’encadrement de la porte qu’il entendit se refermer doucement dans son dos. Radulphe était assis à son bureau, près de la fenêtre ouverte, la plume à la main, et pendant un moment il continua à écrire sans lever la tête. Sculpté par la lumière, son profil aquilin se dessinait calme et sombre, un rayon doré mettant en relief son grand front et ses joues creuses. Eluric avait pour lui un respect mêlé de crainte et cependant il se sentait attiré, plein de reconnaissance, par tant de sérénité et de certitude, qualités dont il était cruellement dépourvu.

Radulphe mit un point final à sa phrase bien rythmée, reposa sa plume dans le plateau de bronze devant lui et leva la tête.

— Oui, mon fils ? Je suis là, je vous écoute si vous avez besoin de moi, parlez sans hésitation.

Eluric avait la gorge sèche, serrée, et sa voix était si faible qu’on l’entendait à peine à travers la pièce.

— Père, j’ai de très gros ennuis. Je ne sais même pas comment les évoquer ni dans quelle mesure je dois être jugé coupable, objet de scandale. Dieu sait pourtant à quel point j’ai lutté ! Je n’ai pas arrêté de prier pour me protéger du mal. Je suis à la fois requérant et plein de remords. Cependant, je me suis gardé du péché ; grâce à votre aide et à votre compréhension j’éviterai peut-être d’y tomber.

Radulphe l’observa plus attentivement, notant la tension qui raidissait le corps du jeune homme ; en effet il frémissait comme une corde près de se rompre. C’était un garçon trop nerveux, toujours à se reprocher des fautes la plupart du temps imaginaires, ou si vénielles que leur donner le nom de péché en était déjà un en soi, car c’était un manquement à la vérité.

— Mon enfant, répondit l’abbé, la mine indulgente, d’après ce que je crois savoir de vous, vous êtes trop pressé de vous charger de crimes graves, alors que vos erreurs légères laisseraient indifférent un homme de sens rassis. Méfiez-vous de l’orgueil perverti ! La modération en toute chose n’est pas la voie la plus spectaculaire pour atteindre la perfection, mais c’est la plus sûre et la plus simple. Maintenant, parlez franchement et voyons comment mettre un terme à ce qui vous trouble. Approchez-vous ! ajouta-t-il vivement. Que je vous voie bien, et que je vous entende tenir des propos raisonnables.

Eluric s’avança, timide, manifestement très nerveux, crispant les mains si fort que ses jointures blanchirent. Il humecta ses lèvres sèches.

— Père, d’ici huit jours, ce sera la translation de sainte Winifred et il faudra payer le loyer de la rose pour la propriété de la Première Enceinte... à Mme Perle qui nous a donné la maison par contrat avec cette clause...

— Oui, je sais. Et alors ?

— Je suis venu vous supplier de me décharger de cette obligation, père. Selon la charte, trois fois déjà, je lui ai porté cette rose, et chaque année cela me devient plus difficile. Ne m’envoyez pas là-bas une fois de plus. Soulagez-moi de ce fardeau avant qu’il ne m’écrase ! C’est plus que je n’en peux supporter.

Il tremblait violemment et éprouvait des difficultés à continuer à parler, si bien que les mots avaient autant de peine à franchir ses lèvres que des gouttes de sang sortant d’une blessure.

— La voir et l’entendre, rien de plus, m’est une torture, père. Je souffre mille morts d’être dans la même pièce qu’elle. J’ai prié, j’ai veillé, j’ai imploré Dieu et ses saints de me délivrer du péché. Mais ni les prières ni les rigueurs que je me suis imposées n’ont pu me garder de cet amour malheureux.

Radulphe resta assis, gardant le silence un moment après que le dernier mot eut été prononcé. Son visage n’avait pas changé, il était seulement devenu plus attentif, et il y avait une lueur décidée dans ses yeux profondément enfoncés.

— L’amour en soi, articula-t-il avec détermination, n’est pas un péché, ne saurait en être un, mais il peut y conduire. Avez-vous ne fût-ce que mentionné cette passion malheureuse à cette femme ? Un seul de vos actes ou de vos regards a-t-il pu jeter le discrédit sur vos vœux ou sur sa pureté à elle ?

— Oh non ! Non, jamais, père ! Pour rien au monde ! Je me suis simplement montré courtois en arrivant et en repartant, et je l’ai bénie pour la bonté qu’elle a montrée à notre congrégation. Je me suis toujours conduit convenablement, mon cœur seul est coupable. Elle ignore tout de mes tourments, elle ne m’a jamais consacré une seule pensée, ni ne m’en consacrera jamais. Pour elle, je ne suis que le messager de l’abbaye. Avec l’aide de Dieu, elle ne saura jamais rien de tout cela, car elle est sans tache. C’est pour elle aussi bien que pour moi que je vous prie de ne jamais la revoir, car la douleur que j’éprouve pourrait la troubler et la rendre malheureuse, même sans en comprendre le motif. Souffrir est bien la dernière chose que je lui souhaite.

Radulphe se leva brusquement de son siège. Eluric, épuisé par sa volonté de se confesser et convaincu de sa culpabilité, était tombé à genoux, la tête dans les mains, attendant la sentence. Mais l’abbé se contenta d’aller vers la fenêtre, où il resta quelque temps à regarder la lumière de l’après-midi et la floraison prometteuse des roses de son jardin.

— Nous n’aurons plus d’oblats, songeait-il tristement, et il en remercia Dieu. Nous n’arracherons plus de bébés à leur berceau, ni aux bras et aux soins des femmes, les privant ainsi de la moitié de la création. Peut-on vraiment leur demander de se comporter normalement avec des personnes aussi étranges et dangereuses que le dragon de la fable ? Tôt ou tard, il s’en trouvera bien une pour croiser leur chemin, plus redoutable qu’une armée, bannières au vent, et ces malheureux enfants sans armes ni armure seront incapables de résister au choc ! Nous trompons les femmes, mais aussi ces petits que nous envoyons, sans préparation, affronter l’âge de raison en tant qu’hommes faits, désarmés devant le premier assaut de la chair. En les préservant du péril, nous les avons privés de tout moyen de défense. Enfin, il n’y aura pas de prochaine fois ! A partir de maintenant, les nouveaux arrivants seront des adultes, venus ici de leur propre gré, capables d’assumer leurs propres problèmes. Mais pour ce garçon, c’est à moi d’agir au mieux.

Il revint dans la pièce. Eluric était agenouillé, effondré, la figure enfouie dans ses douces mains lisses ; des larmes coulaient lentement entre ses doigts.

— Regardez-moi, ordonna fermement Radulphe, et le jeune homme leva vers lui un visage torturé, effrayé. Maintenant, répondez-moi franchement et n’ayez pas peur. Vous n’avez jamais parlé d’amour à cette dame ?

— Non, père !

— Et elle ? A-t-elle jamais eu un mot ou un regard susceptible de vous enflammer ou de vous provoquer ?

— Mais non, père, jamais ! Elle est parfaitement innocente. Je ne suis rien pour elle. C’est moi qui l’ai souillée, à ma grande honte, ajouta-t-il, pleurant de désespoir, moi que mon amour déshonore. Elle n’est au courant de rien.

— Vraiment ? Et en quoi cette affection déplacée a-t-elle nui à cette dame ? Je voudrais aussi savoir s’il vous est déjà arrivé d’imaginer que vous la touchiez, l’embrassiez ou la possédiez ?

— Non ! s’écria Eluric, avec un hurlement de douleur et d’effarement. Dieu m’en est témoin ! Comment pourrais-je la profaner ainsi ? Je la respecte ! Je pense à elle comme à la compagnie des saints. Quand je m’occupe des cierges que sa bonté nous vaut, il me semble voir son visage lumineux. Je ne suis rien d’autre que son pèlerin. Mais, ah, ça fait mal, gémit-il, et il s’inclina dans le bas de la soutane de l’abbé à laquelle il s’accrochait.

— Taisez-vous ! s’exclama ce dernier d’un ton péremptoire. Vous vous servez de termes extravagants pour ce qui est absolument naturel et humain. L’excès est blâmable, et dans ce domaine votre conduite est répréhensible. Mais il est évident qu’en ce qui concerne cette infortunée tentation vous n’avez rien à vous reprocher, en vérité vous auriez plutôt bien agi. Inutile de craindre non plus d’avoir nui à cette dame dont je vous félicite de louer la vertu. Vous ne lui avez causé aucun tort. Je sais également que vous êtes d’une honnêteté scrupuleuse dans la mesure où vous percevez et comprenez la vérité, et la vérité n’est pas simple, mon fils. Dans sa marche vers la sagesse, l’esprit de l’homme trébuche bien souvent. Je m’en veux de vous avoir soumis à cette épreuve. J’aurais dû voir les difficultés qu’elle présentait pour quelqu’un d’aussi jeune et inexpérimenté. Relevez-vous, à présent. Je vous accorde ce que vous étiez venu me demander. Désormais, je vous épargne cette épreuve.

Il prit Eluric par les poignets et le remit fermement sur ses pieds, car il était si faible et tremblait si fort d’épuisement qu’on pouvait douter s’il y serait arrivé sans aide. Le garçon commença à balbutier des remerciements, butant à présent même sur les mots les plus simples. Le calme dû à l’extrême fatigue et au soulagement réapparut petit à petit sur son visage. Mais il fallut quand même, tout libéré qu’il était, qu’il trouve encore matière à s’inquiéter.

— Père... le contrat... Il sera nul et non avenu si la rose n’est pas remise et le loyer payé...

— Mais la rose sera remise, déclara vigoureusement l’abbé, et le loyer réglé. A compter de ce jour, vous n’en êtes plus responsable. Occupez-vous de votre autel, et ne vous mettez plus en peine de savoir ni comment ni par qui la tâche sera remplie.

— Y a-t-il autre chose, père, qui puisse me permettre de purifier mon âme ? risqua Eluric, frémissant sous les ultimes traces de sa culpabilité.

— Le repentir pourra vous être salutaire, admit l’abbé, d’un ton un peu las. Mais attention, ne soyez pas trop dur envers vous-même, lorsque vous chercherez un châtiment adéquat. Vous êtes loin d’être un saint – c’est vrai pour chacun de nous –, mais vous n’avez rien non plus d’un grand pécheur, et je doute, mon enfant, que vous en soyez jamais un.

— Dieu vous entende ! murmura Eluric stupéfait.

— Dieu nous entend ! répliqua sèchement Radulphe. Il n’aime guère en effet que nous exagérions nos vertus, pas plus que nos défauts. Vous n’aurez jamais que ce à quoi vous avez droit tant pour le blâme que pour la louange. Pour le bien de votre âme, allez donc vous confesser comme je vous l’ai ordonné, mais avec modération, et précisez bien à votre confesseur que vous sortez de chez moi, que vous avez mon accord et ma bénédiction et que je vous ai déchargé de cette obligation qui était trop lourde pour vous. Ensuite, exécutez la pénitence qu’il jugera bon de vous imposer et gardez-vous bien de lui demander ou d’en attendre davantage.

Frère Eluric sortit les jambes flageolantes, incapable d’éprouver quoi que ce fût, craignant seulement que cette vacuité ne durât pas. Il n’éprouvait aucune joie, mais au moins il avait cessé de souffrir. Il avait été traité avec bonté ; il était venu à cet entretien afin d’être délivré de l’épreuve qui le forçait à être en contact avec cette femme, ce qui mettait un terme à ses tourments. À présent, toutefois, ce vide qu’il sentait en lui était comme la maison entièrement nettoyée dans la Bible, prête à être habitée, ne désirant que cela, mais ouverte aussi bien aux anges qu’aux démons.

Il obéit exactement aux injonctions de l’abbé. Jusqu’à la fin de son noviciat, il avait eu frère Jérôme pour confesseur ; et avec Jérôme, éminence grise du prieur Robert, il aurait certainement reçu le châtiment exemplaire qu’il réclamait. Mais maintenant, c’était vers Richard, le sous-prieur, qu’il devait se tourner. Richard, chacun le savait, s’efforçait de soulager et consoler ses pénitents par bonté autant que par paresse. Eluric tenta de son mieux de respecter les ordres de Radulphe, en ne s’épargnant pas mais en ne s’accusant pas non plus de ce dont il était innocent, même dans le secret de son esprit. Quand ce fut terminé, qu’il eut reçu sa pénitence ainsi que l’absolution, il resta à genoux, les yeux fermés, le front plissé douloureusement.

— Y a-t-il autre chose ? s’enquit Richard.

— Non, père... Il n’y a rien à ajouter. Seulement, j’ai peur...

L’engourdissement commençait à passer, une douleur vague le grignotait peu à peu : la maison inoccupée ne le resterait pas longtemps.

— Je vais m’efforcer, bien sûr, de bannir jusqu’au souvenir de cette coupable affection, mais j’ai des doutes ! Et si je n’y arrivais pas ? Je m’en irai, dans la crainte de mon propre cœur...

— Mon fils, si jamais votre cœur vous trahit, vous devez prier la source de toute force, de toute compassion pour trouver de l’aide, et la grâce ne vous fera pas défaut. Vous servez l’autel de Notre-Dame, qui est la pureté incarnée. Qui pourrait vous offrir un soutien plus efficace ?

Il y avait du vrai là-dedans ! Seulement voilà, la grâce n’était pas un fleuve où on remplit son seau quand l’envie vous en prend, mais une fontaine qui coule quand elle le désire et se tarit aussi, n’obéissant qu’à ses caprices. Eluric accomplit sa pénitence devant l’autel qu’il venait de décorer, agenouillé sur les carreaux froids du sol ; la passion étouffait à moitié sa voix murmurante. Quand il eut fini, il ne se releva pas aussitôt, chacun de ses muscles et de ses nerfs cherchait désespérément la plénitude et la paix.

Il est certain qu’il aurait dû être heureux, car il était rasséréné, délivré du poids de cette effroyable faute ; jamais plus il ne serait obligé de revoir le visage de Judith Perle, réentendre sa voix, ni respirer le doux parfum qui émanait de ses vêtements quand elle se déplaçait. Libéré du supplice de cette tentation, il s’était cru délivré de ses tourments. Maintenant, il comprenait son erreur.

Il se tordit les mains de douleur avant de se lancer dans une série de prières passionnées, silencieuses à la Vierge Marie dont il était le serviteur dévoué et qui pouvait, non qui devait le soutenir dans les périls où il était. Mais quand il rouvrit les yeux, face aux cônes dorés qui contenaient les cierges, il aperçut le visage radieux de cette femme dont le charme éclatant l’aveuglait.

Il n’avait échappé à rien, simplement en rejetant cette insupportable souffrance, il s’était aussi privé de ce bonheur transcendant, et tout ce qui lui restait, à présent, c’était son honneur stérile et sa virginité, cette nécessité sinistre de rester à tout prix fidèle à ses vœux. C’était un homme de parole, il la respecterait donc.

Mais celle qu’il aimait, il ne la reverrait jamais.

 

Cadfael revint de la ville à temps pour complies. Il avait bien mangé, bien bu, passé une agréable soirée, mais il regrettait cependant d’être privé d’Aline et de Gilles, son filleul, pendant trois ou quatre mois. Hugh les ramènerait sans doute dans sa maison de la ville pour l’hiver ; à ce moment l’enfant aurait grandi sans que son parrain sût comment et approcherait de son troisième anniversaire. Évidemment, il valait mieux qu’ils passent la saison chaude dans le Nord, à Maesbury, à respirer du bon air dans le fief modeste de Hugh, plutôt que dans les rues encombrées de Shrewsbury où les épidémies circulaient à leur guise et prenaient une ampleur excessive. Il ne devait pas leur en vouloir de partir. Ils lui manqueraient toutefois.

Quand il traversa le pont, le crépuscule l’enveloppait d’une douce chaleur, et convenait parfaitement à son état d’esprit mélancolique, pas vraiment déplaisant. Il passa l’endroit où arbres et buissons bordaient le sentier qui descendait vers la Gaye et ses rives luxuriantes, près des jardins principaux de l’abbaye, avec à droite un calme reflet d’argent qui parcourait la surface de l’étang du moulin. Il tourna, arrivé à hauteur du portail. Le portier était assis à l’entrée de la loge pour profiter de la soirée, mais il n’en oubliait pas pour autant ses responsabilités ni la commission dont il avait été chargé.

— Ah te voilà ! s’exclama-t-il très détendu quand Cadfael franchit le guichet. Tu as encore couru la prétentaine ! Moi aussi j’aimerais avoir un filleul en ville.

— J’en avais reçu l’autorisation, répliqua-t-il, sûr de lui.

— A une certaine époque, tu n’aurais pas pris ce ton complaisant pour me répondre ! Mais oui, je suis au courant pour ce soir, et tu es juste à l’heure pour l’office. Seulement, il y a un problème pour l’immédiat : le père abbé t’attend dans son parloir. Dès qu’il reviendra, a-t-il précisé.

— Ah oui ? Vraiment ? s’étonna Cadfael, haussant un sourcil. Qu’est-ce que cela signifie à pareille heure ? Se serait-il passé quelque chose de bizarre ?

— Pas que je sache, il n’y a pas eu d’agitation particulière ; tout est parfaitement calme. Simple convocation. Frère Anselme est aussi de la partie, ajouta-t-il, placide. On ne m’a pas donné d’explications. A ta place, j’irais voir sans attendre.

C’était exactement l’opinion de Cadfael qui accéléra le pas pour traverser la grande cour et se rendre aux appartements de l’abbé. Frère Anselme, le premier chantre, l’y avait précédé ; il était déjà installé sur un banc sculpté, appuyé aux boiseries du mur. Il apparut très vite qu’il n’y avait rien de trop alarmant, car abbé et obédiencier tenaient chacun une coupe de vin et, dès que Cadfael entra, on lui en offrit une. Anselme se déplaça sur le banc pour que son ami pût s’asseoir. Le premier chantre, qui présidait également aux destinées de la bibliothèque, avait dix ans de moins que Cadfael ; c’était un être indéfinissable, relativement détaché du monde, sauf pour ce qui l’intéressait personnellement ; il était toutefois vif et subtil concernant tout ce qui touchait aux livres, à la musique, aux instruments permettant de la jouer, et plus particulièrement le plus beau d’entre eux : la voix humaine. Le regard bleu qui perçait sous ses sourcils bruns touffus et sa tignasse châtain tout ébouriffée était peut-être myope, mais il n’y avait pas grand-chose qui lui échappât, et il reflétait toujours la compassion pour les pauvres pécheurs et leurs errements, surtout si les coupables étaient jeunes.

— Si je vous ai demandé à tous les deux de venir, commença Radulphe, après avoir soigneusement refermé la porte et s’être assuré que personne ne pouvait les entendre, c’est qu’il est arrivé quelque chose dont j’aimerais autant qu’on ne parle pas au chapitre de demain. Il y a sûrement quelqu’un d’autre au courant, mais il est tenu par le secret de la confession, ce qui évite les risques. Sinon, rien de notre conversation ne doit sortir d’ici. Vous avez eu l’un et l’autre une longue expérience du monde et de ses chausse-trappes avant de prendre la robe, vous me comprendrez donc sans peine. Encore heureux que ce soit vous qui ayez été les témoins de l’abbaye lors de la rédaction du document qui nous a permis d’acquérir la maison de la veuve Perle sur la Première Enceinte. J’ai demandé à frère Anselme d’en apporter une copie tirée de notre grand registre.

— Je l’ai sur moi, répondit ce dernier, dépliant à demi la feuille de vélin sur son genou.

— Bien ! Au travail ! Le problème est le suivant : cette après-midi frère Eluric, qui est le gardien de l’autel de la chapelle de Notre-Dame, bénéficiaire de ce don et qui semblait tout désigné pour payer le loyer stipulé chaque année à cette dame, est venu me trouver et m’a demandé de le relever de cette fonction. Pour des raisons que j’aurais dû prévoir. Car on ne saurait nier que Mme Perle est une femme attirante et que frère Eluric est entièrement dénué d’expérience, jeune et fragile. Il affirme, et je le crois sans peine, qu’il n’y a eu entre eux ni regard ni propos déplacé, et qu’il n’a eu aucune pensée luxurieuse à son égard. Mais il a souhaité ne plus avoir à la rencontrer, puisqu’il en souffre et qu’il est induit en tentation.

Cadfael songea que cette manière d’évoquer les tourments de frère Eluric était pleine de délicatesse, mais, Dieu merci, il semblait qu’on ait pu éviter le désastre à temps. Manifestement, le garçon avait obtenu satisfaction.

— Vous lui avez accordé ce qu’il voulait, murmura Anselme pour qui la question ne se posait pas vraiment.

— En effet. C’est notre travail d’apprendre aux jeunes à affronter les tentations du monde et de la chair, mais en aucun cas de les y soumettre. Je me reproche de n’avoir pas prêté suffisamment attention à cet arrangement et de ne pas en avoir imaginé les conséquences. Eluric a réagi comme un émotif, mais je le crois absolument quand il affirme n’avoir jamais péché. Je l’ai donc déchargé de cette tâche. Et je souhaite qu’aucun de ses frères ne soit informé de l’épreuve qu’il a subie. Au mieux, cette histoire lui laissera des cicatrices ; alors qu’au moins on n’en glose pas et que cela reste entre nous. Il n’a même pas besoin de savoir que je vous ai consultés.

— N’ayez aucune crainte, déclara fermement Cadfael.

— Bien, poursuivit Radulphe, maintenant que nous avons tiré un malheureux enfant d’une situation périlleuse, je suis d’autant plus décidé à ne pas jeter quelqu’un d’aussi mal préparé dans le même piège. Il m’est impossible de désigner un garçon de l’âge d’Eluric pour porter la rose. Et si je choisis un ancien comme vous Cadfael, ou comme Anselme, tout le monde comprendra ce que signifie cette modification, et les tourments de frère Eluric deviendront matière à médisance et à ragots. Soyez sûrs qu’aucune obligation de silence n’empêche les nouvelles de se répandre comme des mauvaises herbes. Non, il faut qu’on puisse mettre ce changement de politique sur le compte de raisons canoniquement valables. C’est pourquoi j’ai demandé la charte. J’en connais le contenu, mais je n’ai plus les termes exacts en tête. Voyons les possibilités qu’elle nous suggère. Voulez-vous nous lire ce contrat, frère Anselme ?

Anselme déroula le parchemin et le lut de sa voix mélodieuse qui se réjouissait d’émouvoir les auditeurs pendant les offices.

— Que chacun sache, à présent et à l’avenir, que moi, Judith, fille de Richard Vestier et veuve d’Edred Perle, étant saine de corps et d’esprit, donne et cède, et par la présente charte confirme à Dieu et à l’autel de sainte Marie dans l’église des moines de Shrewsbury, ma maison sise sur la Première Enceinte des Moines, située entre la forge de l’abbaye et la propriété de Thomas le maréchal-ferrant avec le jardin et le champ qui en dépendent, et ce pour un loyer annuel durant ma vie d’une rose cueillie sur le rosier blanc poussant près du mur nord, rose que l’on me remettra à moi, Judith, le jour de la translation de sainte Winifred. Les témoins suivants étaient présents : pour l’abbaye, frère Anselme, premier chantre, frère Cadfael. Pour la cité, John Ruddock, Nicolas de Méole, Henry Wyle.

— Parfait ! s’exclama l’abbé, avec un profond soupir de satisfaction, cependant qu’Anselme reposait le document sur ses genoux. Il n’y a aucune mention sur la personne qui doit porter le montant du loyer, simplement qu’il doit être réglé au jour indiqué et remis entre les propres mains du donateur. On peut donc en décharger frère Eluric sans nous mettre en tort et nommer librement quelqu’un d’autre pour porter la rose. En l’occurrence, celui qui sera désigné agira au nom de l’abbaye.

Anselme l’approuva sans restriction.

— Mais si vous comptez exclure tous les jeunes, père, continua-t-il, de peur que le diable ne les tente, et aussi tous les anciens de crainte de révéler la faiblesse de frère Eluric qui serait soupçonné injustement de conduite répréhensible ou pis, sommes-nous censés chercher parmi les serviteurs laïcs ? Un de nos intendants, peut-être ?

— Ça n’aurait rien d’illégal, reconnut Radulphe, pratique, mais ça ne serait peut-être pas très logique. Je ne souhaite en rien diminuer la gratitude que nous éprouvons, c’est la moindre des choses, envers la générosité de la donatrice, ni manquer au devoir d’acquitter le loyer qu’elle a choisi. Cela signifie beaucoup pour elle, pour nous aussi par conséquent. J’apprécierai donc toutes vos suggestions en la matière.

— La rose, émit Cadfael lentement et après mûre réflexion, vient du jardin, plus spécialement du massif qu’elle préférait pendant sa vie d’épouse, et qu’elle a entretenu avec son mari. La maison a un locataire à l’heure qu’il est, un veuf très convenable et bon artisan, qui a donné tous soins à ces fleurs ; il les a élaguées et nourries depuis qu’il s’est installé là-bas. Pourquoi ne pas lui demander de remettre la rose ? Pas par des moyens détournés, par l’intermédiaire d’un tiers et sur ordre, mais directement du massif à la dame ? Cette maison représente son propriétaire, comme elle en est la bénéficiaire, et son bienfait s’étend à la rose sans qu’il soit besoin de rien ajouter.

Il aurait été bien en peine d’expliquer ce qui l’avait poussé à avancer cette idée. Le vin qu’il avait bu dans la soirée, peut-être, dont celui de l’abbé avait renforcé l’effet, à quoi il fallait ajouter le souvenir de la famille heureuse, unie qu’il avait laissée en ville. Cette ferveur conjugale n’était-elle pas aussi sainte à sa façon que les vœux prononcés par ceux qui entraient en religion ? Ne portait-elle pas témoignage jusqu’au ciel de ce sacrement bénéfique à l’humanité ? Enfin, quelle que fût la cause de son intervention, c’était bien d’une confrontation particulièrement significative entre un homme et une femme qu’il s’agissait, comme Eluric l’avait très clairement montré, et le champion qu’on enverrait sur les lices pouvait tout aussi bien être un homme mûr qui savait déjà ce qu’étaient une femme, l’amour, le mariage et le deuil.

— Voilà qui est très bien pensé, s’exclama Anselme en toute objectivité. Si on choisit un laïc, autant vaut le locataire. Lui aussi profite de sa générosité, la maison lui va comme un gant, car le logis qu’il occupait précédemment était trop loin de la ville et trop étroit.

— Vous pensez qu’il sera d’accord ? demanda l’abbé.

— On peut toujours lui poser la question. Il a déjà travaillé pour la dame, rappela Cadfael, ils se connaissent. Plus il aura de bonnes relations avec la ville, plus cela sera profitable à son commerce. Je ne pense pas qu’il soulèvera d’objection.

— Alors, demain, j’enverrai Vitalis lui soumettre le problème, décréta l’abbé avec satisfaction. Et malgré son peu d’importance, on lui trouvera une solution.

Une rose pour loyer
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